La Libye expérimentait trois conflits à la fois: une guerre civile, une guerre avec l’Alliance atlantique et une troisième guerre, invisible à l’œil nu mais tangible, à l’intérieur du groupe même au pouvoir. Ce dernier s’était divisé à l’occasion des premières manifestations de février et continuait à se fragmenter, que ce soit à Benghazi ou à Tripoli. Dans la capitale, la division passe à l’intérieur même de la famille de Kadhafi, liée aux plus importants clans tribaux et à l’armée (délibérément confinée au second rang toutes les années qui précèdent de façon à limiter les éventualités de coup d’État, mais qui récupère aujourd’hui du pouvoir). Dans semblable logique de guerre civile, les appartenances tribales s’étaient en même temps relâchées et renforcées. Relâchées parce que les alliances entre familles et clans avaient été remises en jeu, l’équilibre des pouvoirs qui avait permis à Kadhafi de se maintenir au pouvoir s’en étant trouvé rompu; de même que les tribus avait perdu de l’influence qui marquait les dernières décennies, en particulier au sein de la hiérarchie familiale et sociale; les nouvelles générations renâclaient à se plier aux règles d’une société fortement structurée et ancrée dans des valeurs archaïques. Renforcées, parallèlement, du moment où le facteur tribal (et ethnique dans la montagne berbère) avait retrouvé sa prépondérance par rapport à l’État. Ce sont les tribus qui se sont soulevées en Libye, et non les jeunes intellectuels, ni les masses «ouvrières» au demeurant constituées de travailleurs étrangers, non plus que fondamentalement comme en Tunisie les cyberguerriers de la chimère électronique, de cette révolution permanente qui submerge actuellement le monde arabe. Rien de tout cela n’a eu fonction de catalyseur. Et encore moins l’armée qui a été le véritable artisan de la chute tant de Moubarak que de Ben Ali: ou elle s’est solidarisée avec les insurgés, ou elle est restée fidèle au qaid. Ici, la tribu est à l’origine de tout; dans une société libyenne où il y a plus de cent appartenances, où les toponymes urbains sont souvent de nature tribale, où le toponyme urbain ou rural remplace fréquemment le nom de famille. En somme, le facteur tribal gagnait chaque jour en importance. Rares étaient par exemple les collaborateurs du porte-parole du gouvernement, Moussa Ibrahim, à ne pas appartenir aux Kadhafa ou à une tribu étroitement liée au qaid. Tout élément qui n’était pas complètement aligné ou se voyait reconnu comme lié à d’autres familles passait pour un traître potentiel; il était remplacé et écarté.
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