Nous remercions Outre-terre, Revue Français de la Géopolitique, de nous avoir fournis cet article. Traduit de l’anglais par Julien Hautefort
En juin 2011, les révolutions arabes avaient évolué en une série de guerres civiles dissociées l’une de l’autre mais de plus en plus violentes, en particulier en Libye et en Syrie. Qui plus est: ces guerres s’étaient internationalisées comme cela a été le cas en Libye et pourrait aussi se produire en Syrie. En tant que patron de longue date sinon allié de ces pays, la Russie observe ces tendances avec une préoccupation grandissante. Ces révolutions et guerres civiles augurent en effet de défis sérieux, voire même de menaces pour Moscou. Ces révolutions pourraient inciter ses citoyens à monter des actions autonomes contre le régime, soit le pire des cauchemars pour le gouvernement. Et elles pourraient enflammer plus avant les populations largement musulmanes du Nord-Caucase déjà hors contrôle. L’insurrection dans la région y sédentarise environ 250 000 hommes de l’armée régulière et des forces du ministère de l’Intérieur. Alors que Moscou ne dispose à l’évidence pas d’une stratégie efficace pour dompter ces violences ou trouver une issue politique à cette insurrection.
Les vantardises du gouvernement russe à l’intérieur et à l’extérieur servent pour une part considérable à dissimuler ces craintes de troubles intérieurs. Les officiels russes croient et professent publiquement que les Américains s’emploient depuis 2003 à fomenter des campagnes en Fédération de Russie et dans la Communauté d’États indépendants (CEI) pour y saper l’autorité des régimes. C’est pourquoi ils continuent à promouvoir une image de Russie forteresse assiégée, entourée d’ennemis ligués contre elle, gouvernements étrangers et réformateurs.
Dans les termes du président Medvedev le 22 février 2011 à Vladikavkaz:
«Regardez la situation actuelle au Moyen-Orient et dans le monde arabe. Elle est extrêmement difficile et de grands problèmes sont devant nous. Dans certains cas, cela peut même déboucher sur une désintégration d’États très peuplés, à leur dislocation en fragments. La nature de semblables États n’a rien d’évident. Des événements fort complexes peuvent se produire, y compris l’arrivée de fanatiques au pouvoir. Ce qui équivaudra à des décennies de flambées de violence et de propagation de l’extrémisme. Il nous faut regarder la vérité en face. Pareil scénario, dans le passé, nous était épargné, mais il est désormais plus probable que certains s’y essaieront. Certes, ces complots échoueront de toute façon. Mais ce qui se passe là-bas aura un impact direct sur notre situation intérieure à long terme, pour des décennies» .
Si Moscou n’attribue pas les révolutions arabes à l’action de forces extérieures, il croit que les mêmes forces pourraient se servir de ces exemples pour stimuler des populations dont l’insatisfaction grandissante lui est connue. Pour répondre aux «révolutions de couleur» de 2003-05, les Russes en ont fini avec les élections au poste de gouverneur; ils ont adopté des lois draconiennes réprimant toujours plus les libertés de la presse, de rassemblement, d’expression et d’information; ils ont créé littéralement des milliers de milices paramilitaires dont la mission principale est d’empêcher quelque trouble ou manifestation politique autonome que ce soit. Dissidents et journalistes ont été incarcérés, frappés, parfois assassinés. Poutine a même réactivé les sinistres méthodes brejnéviennes de l’internement de dissidents dans les hôpitaux psychiatriques. Selon Andrei Soldatov, la Russie travaille également à prévenir une «révolution Facebook» en proposant que les propriétaires de réseaux sociaux soient rendus responsables de tous les messages postés sur leurs sites web. Malgré les fanfaronnades coutumières du régime, ces politiques trahissent de fait une crainte profonde de son propre peuple. Un rapport d’avril 2009 dégageant assez clairement la menace perçue par les autorités:
«La communauté russe du renseignement est sérieusement inquiétée par des processus sociaux latents susceptibles d’entraîner des guerres civiles et des conflits en germe sur le territoire de la Fédération de Russie lesquels pourraient déboucher sur une dislocation de l’intégrité territoriale et l’émergence d’un nombre considérable de pouvoirs souverains. Des “fuites” permettent d’appréhender un volume massif d’actions antigouvernementales, les déclarations officielles et appels de l’opposition en attestant» .
Et de poursuivre: les services s’attendent à des protestations massives dans la zone de Moscou, dans les zones industrielles de l’Oural méridional, de Sibérie occidentale et d’Extrême-Orient où des tensions entre musulmans comme au Nord-Caucase et dans la région Volga-Oural ne sont pas exclues. Une propagation du «virus» arabe serait pour le Kremlin le pire des cauchemars.
Seconde source de préoccupation pour les Russes, la possibilité que les révolutions arabes puissent s’étendre à l’Asie centrale. Les élites de Moscou considèrent cette zone comme particulièrement vulnérable à des troubles tant intérieurs que venant de l’extérieur, en particulier si les taliban venaient à s’imposer en Afghanistan. Le 14 juin, le président Medvedev qui parlait à Tachkent a souligné que ces révolutions inquiétaient la Russie et ses partenaires centre-asiatiques. De fait, en avril il était clair du point de vue de Moscou qu’une pression dangereuse s’exerçait sur les États en question. Pendant que la Douma procédait à des auditions publiques sur l’éventualité de la propagation de pareilles révolutions en Asie centrale le 13 avril, le vice-ministre des Affaires étrangères, Grigory Karasin, pressait ces États de faire des réformes en temps opportun sauf à être balayés comme en Tunisie et en Égypte. Comme la Russie avait pour objectif la stabilité régionale sans laquelle ils ne pouvaient se rapprocher d’elle, le ministre recommandait l’octroi d’en haut d’une société civile, de la paix internationale et interreligieuse, d’une responsabilité accrue des dirigeants quant à l’élévation du standing de vie de la population, au niveau d’éducation et à la coopération avec la jeunesse. Mais ce programme limité ne suffira pas à surmonter les résultats d’une mauvaise gouvernance en profondeur, de la corruption, des entraves à l’économie, sans compter l’absence des libertés ou de réformes politiques authentiques. Or, il est clair que la Russie n’est pas disposée à tolérer des réformes autres que cosmétiques et on peut douter que les leaders centre-asiatiques aillent même aussi loin.
En effet, ces derniers n’envisagent pas d’appuyer des réformes authentiques et leurs réactions aux révoltes arabes ont relevé pour l’essentiel du mépris. Au Kazakhstan, le président Noursultan Nazarbaiev s’est contenté d’initier un scrutin présidentiel anticipé plutôt que de mettre en scène un référendum sur un éventuel mandat à vie parce que la seconde option lui semblait, dans le climat actuel, trop extrême dans.
Alors qu’en Ouzbékistan, déjà très autocratique, on a assisté à des représailles sur la médiatisation par les portables, ce pays et le Turkménistan ont procédé à des black-outs sur l’information, leurs services niant qu’une quelconque révolution soit possible en Asie centrale. Et le président ouzbek, Islam Karimov, d’affirmer que semblables révolutions étaient inspirées de l’extérieur par des États qui convoitaient les ressources de l’Asie centrale, mais sans pour autant identifier ceux-ci. Le président tadjik, Imamali Rahmanov, allait proclamer devant son Parlement le 20 avril 2011:
«On a beaucoup dit et écrit sur la répétition éventuelle de ces événements en Asie centrale…Je tiens à le souligner une fois de plus, le sage peuple tadjik qui a été par le passé victime de semblables événements sait ce que veulent dire paix et stabilité…Il est passé par les affres des guerres civiles. Voilà pourquoi il rejette les solutions militaires à quelque problème que ce soit».
De même pour le président turkmène, Gourbangouly Berdymoukhammedov, lequel déclarait récemment que les vrais indicateurs clés du progrès et de la stabilité étaient l’abondance des marchandises sur le marché intérieur, en particulier celle des denrées, et des prix peu élevés. En somme, les gouvernements de la région font de leur mieux pour ne rien laisser au hasard mais ne se réforment pas. C’est d’ailleurs peine perdue et l’Azerbaïdjan est pour eux une bonne raison d’inquiétude puisque dans ce pays où l’agitation monte depuis fin 2010 en réaction à la répression par le régime de manifestations dissidentes ou islamiques (ce qui n’est pas nécessairement la même chose) et d’amples mouvements s’y produisent actuellement.
La troisième source d’inquiétude pour les Russes touchait à l’opération de l’OTAN destinée à soutenir les insurgés libyens et à l’éventualité qui se précise d’approfondir l’engagement en Syrie.
Premièrement: l’action de l’OTAN et la guerre civile mettaient en danger nombre d’intérêts russes dans ces pays. La Russie risquait déjà selon ses propres calculs de perdre pour 4,5 milliards de dollars de commandes d’armements avec les Libyens, et ces chiffres ne tiennent pas compte de la Syrie. Des ventes d’armes qui ne bénéficient pas seulement à l’industrie de la défense, mais également aux leaders russes lesquels empochent une partie des profits dans leurs « caisses noires». En retour, la Libye aurait offert à la Russie une base navale à Benghazi, tout comme la Syrie à Tartous; Moscou ayant apparemment exercé: ventes d’armes contre bases militaires. Ce qu’on a vu aussi en Amérique latine. En outre, il est possible que la Russie livrait clandestinement des armes à la Libye par le biais de la Biélorussie, le parcours habituel quand les Russes tiennent à pouvoir nier l’existence de l’opération; la Libye n’avait-t-elle pas récemment demandé à la Biélorussie de lui livrer plus d’armes. L’importance de la Syrie en tant que client de la Russie – des achats d’armes souvent financés par des subventions saoudites ou iraniennes – a la même importance économique et stratégique.
Deuxièmement: la Libye occupe un rôle dans la stratégie énergétique de Moscou. Juste avant la révolution, la Russie avait conclu une transaction avec l’Ente nazionale idrocarburi (Eni): la moitié des 66% de parts de la seconde dans les actifs du champ pétrolier Elephant – 700 000 barils récupérables -, en échange d’une participation au développement de ressources sibériennes dont l’Arctic Gaz company était propriétaire. En particulier, l’Eni et Gazprom s’étaient mis d’accord pour finaliser un contrat de vente de gaz à partir de ces champs sibériens par la compagnie russo-italienne Severenergia (énergie septentrionale). La Russie avait ici deux objectifs jumeaux: d’abord s’installer dans les réseaux d’approvisionnement nord-africain de façon à assiéger l’Europe et exercer une pression accrue pour que les Européens négocient avec les fournisseurs russes; ensuite obtenir des investissements en devises étrangères sans conditions trop lourdes ou une immixtion – majorité des parts – dans les projets sibérien et extrême-oriental. Sans doute l’accord passé prévoyait-il cependant qu’en cas de succès des révolutionnaires libyens (opérations de Gazprom actuellement suspendues), l’Eni pourrait avoir à se retirer du projet sibérien.
D’où l’importance considérable de l’enjeu libyen et plus généralement nord-africain du point de vue de Moscou, car c’est le seul moyen, pour les Russes, de conquérir avec des parts majeures dans les champs par exemple libyens et algériens un levier déterminant sur les approvisionnements européens. Lukoil a déjà des parts en Égypte, Tatneft est en Libye et Gazprom en Algérie, ce dernier acteur se préparant à faire son entrée en Libye (cf. supra). Moscou veut aussi clairement des actifs de BP en Algérie et dans le bassin de la Caspienne. Le russo-britannique TNK-BP a annoncé en octobre 2010 qu’il était intéressé à acquérir les holdings algériennes de cette dernière à une hauteur de 3 milliards. Le président Medvedev est allé dans le même sens pendant sa visite d’État en Algérie en 2010. TNK-BP proposant même à la Sonatrach, la compagnie nationale algérienne, d’échanger des actifs contre ces actifs de BP. Cette dernière société pourrait également avoir demandé à l’Algérie et à la Sonatrach de coopérer avec la Russie. Au-delà des actifs de BP en Algérie, Gazprom envisage de participer à de nouveaux appels d’offres pour y développer des champs gaziers. Malgré un intérêt initial à coopérer avec des sociétés russes, l’Algérie et la Sonatrach allaient néanmoins inverser le cours et décider de résister à la Russie. Mais l’intérêt de Moscou à acquérir des actifs dans l’énergie algérienne reste assez évident. Dans tous les cas de figure, les experts russes s’attendent à ce que la demande occidentale atteigne de nouveau les niveaux de 2007-08.
Mais les Russes ont aussi besoin des actifs étrangers dans les champs nord-africains pour des raisons économiques touchant au solde final de Gazprom. Moscou doit tabler sur une demande ouest-européenne déclinante et l’arrivée sur le marché du gaz naturel liquéfié (GNL) comme du gaz de schiste, des secteurs où la Russie n’est pas compétitive si bien qu’elle poursuit résolument sa stratégie initiale. Qui plus est: la perspective de taxes intérieures plus élevées sur l’énergie incite Gazprom à plutôt rechercher les actifs étrangers que de réformer ses opérations à l’intérieur. En revanche, l’agitation en Libye avait pour Moscou un bon côté dès lors que plus généralement troubles et turbulences aux quatre coins du golfe Persique ont poussé le prix du pétrole à des pointes de plus de 100 dollars le baril.
L’aubaine joue en même temps un rôle clef dans la politique intérieure russe. Selon Alexei Kudrin, ministre des Finances, à un prix du pétrole inférieur aux 120 dollars le baril le budget russe est en déficit. En somme, la manne remédie à la pression budgétaire. Il y a encore plus important: pour tous ceux qui comme Poutine sont attachés à un « centralisme énergétique » mais ne tiennent pas à réformer (pour l’essentiel) l’économie (non plus que le système politique), la rente pare justement à la nécessité de moderniser le système politique et économique dont Medvedev avait parlé mais qu’il a échoué à réaliser. Comme elle offre une illusion de prospérité et de stabilité, les pressions tant populaires que de l’élite en faveur de réformes sont aussi longtemps calmées que panique et spéculation dominent le marché mondial de l’énergie.
Troisièmement: du point de vue de la politique étrangère, l’instabilité dans le Golfe et en Afrique du Nord permet apparemment à des leaders russes comme le Premier ministre Poutine de raconter à l’Europe qu’elle doit faire des affaires avec la Russie parce que celle-ci serait, elle, un fournisseur prétendument stable sans lequel l’Europe ne peut s’en tirer sur le plan de l’énergie. Nul besoin de le dire, cet argument a une portée en définitive géopolitique, même si c’est l’économie qui renforce ici le poids de Moscou en Europe. Ainsi, la stratégie énergétique ne tend pas seulement à réduire la pression en faveur des réformes intérieures, elle est également l’instrument décisif pour chercher à dominer la CEI et à se doter d’un levier durable en Europe. Un échec sur l’un ou l’autre versant aura des répercussions immédiates sur les politiques intérieures et l’économie.
Les Russes étaient opposés à l’intervention et ils ont en permanence tenté de limiter l’emploi de la force par les USA (pas par la Russie) en usant du Conseil de sécurité des Nations unies où Moscou dispose d’un droit de veto. La référence à l’ONU en tant qu’arbitre suprême et exclusif de l’usage de la force pour les USA apparaît depuis plus d’une décennie comme un article doctrinal de la politique étrangère russe. Si les USA et/ou l’OTAN faisaient mine de se passeraient de l’approbation onusienne (ce qui leur vaudrait alors indubitablement un veto russe sinon chinois), la Russie s’en trouverait ramenée à sa véritable taille, car une action efficace voire couronnée de succès ne tenant pas compte de ses positions serait un sérieux coup porté au statut, au prestige et à l’influence réelle de Moscou au Moyen-Orient et au-delà. La poursuite ou pire l’extension de cette opération ne feraient que conforter les Russes dans leur crainte que Washington et l’OTAN sont imprévisibles, non liés par une quelconque considération des intérêts de la Russie, du droit international et de quoi que ce soit d’autre que leurs valeurs et leurs intérêts; ces derniers étant – de façon passablement incompréhensible pour les Russes – souvent confondus, ce qui complique inutilement dans leur esprit les relations avec l’Occident. Qui plus est: les Occidentaux ne pourraient-ils pas un jour invoquer le prétexte de l’absence de démocratie en Russie ou en CEI pour y intervenir? Alors que la Russie, tout comme la Chine, entend mener une politique étrangère indépendante de tout jugement de valeur, «values-free», avec les États-Unis et l’Europe à la manière des diplomaties de cabinet des XVIIIe et XIXe siècles, à une époque où les États agissaient chez eux selon leur bon plaisir. C’est ainsi que la Russie a dans la même période rendu publiques des histoires d’atrocités sur l’action de l’OTAN pour persuader celle-ci et Kadhafi qu’elle pouvait jouer un rôle d’honnête courtier. Semblables manœuvres étant présentées par Moscou comme des prouesses tactiques.
Pour finir, l’opération libyenne de l’OTAN présentait pour la Russie de multiples risques géopolitiques. Une fois de plus Moscou pense que l’Alliance, soutenue par Washington, a détourné de sa signification claire la résolution onusienne en intervenant unilatéralement dans une guerre civile au nom de forces qui s’opposent au client ou partenaire de la Russie pour imposer la démocratie par la force. Les Russes s’inquiétaient de ce que la situation pouvait tourner (ce qui n’était pas impossible) à l’impasse, enflammant davantage encore leur propre population musulmane et celles de leurs voisins récalcitrants, ainsi que tout le Moyen-Orient. En outre: la victoire des forces révolutionnaires et de l’OTAN peut amener les Occidentaux à serrer la vis aux Syriens voire à utiliser le précédent libyen pour une éventuelle intervention en Syrie. Et puis: des révolutionnaires libyens et syriens victorieux s’orienteront vers l’OTAN, et non pas en direction de Moscou, renforçant par là dans le futur la présence occidentale au Moyen-Orient et permettant à l’OTAN de consolider unilatéralement cette zone. Ce qui constituerait une claire défaite pour Moscou dont l’objectif géopolitique de longue date consistait à ne pas laisser les USA et/ou l’OTAN organiser unilatéralement le Moyen-Orient. Moscou aura assisté à un précédent et à un succès de plus de l’unilatéralisme et de la diplomatie coercitive de l’Alliance, la Russie étant dès lors confrontée à la marginalisation dans cette région du monde.
Autant de considérations qui se sont amalgamées lors de la rencontre entre les deux ministres des Affaires étrangères Sergei Lavrov et Yang Jiechi à Moscou le 6 mai 2011. Les deux hommes allaient annoncer leur grave préoccupation quant aux événements du Moyen-Orient, se déclaraient prêts à désormais coordonner des actions menant à une «rapide stabilisation» de la situation et à empêcher que ne se produisent des conséquences imprévisibles.
Ils adhéraient plus spécifiquement à la thèse en vertu de laquelle les peuples étaient libres d’arranger leurs affaires à leur guise sans ingérences extérieures. Selon eux, le groupe de contact avait grossièrement outrepassé ses attributions; du moment où il plaidait maintenant en faveur d’une opération de l’OTAN au sol, celui-ci usurpait le rôle du Conseil de sécurité de l’ONU. Ils appelaient à un règlement pacifique et la non-ingérence, ce qui signifiait que Kadhafi restait au pouvoir. Cette coordination va à n’en pas douter s’élargir aux questions concernant une politique de réforme en Asie centrale, même si Moscou admettrait le cas échéant des réformes limitées (cf. supra).
Pendant des semaines, la Russie avait donc proposé une médiation entre Kadhafi et les rebelles. Agissant de la sorte parce que si elle redoutait un affrontement prolongé en Libye, elle redoute encore plus sa propre marginalisation; sa crainte majeure étant la victoire de l’OTAN. Voilà pourquoi elle a malgré l’accord avec la Chine rapidement changé de cours de peur d’être isolée régionalement face à l’OTAN. Malgré les postures affichées, ces manœuvres de Moscou trahissent de la faiblesse et non de la force. Le conseil d’introduire des réformes modérées, que les Russes donnait à la Libye, au Yémen, à la Syrie et à l’Asie centrale, a été complètement ignoré bien que ces régimes qu’elle soutient dépendent d’elle comme le déclarait Walid Mouallem, le ministre des Affaires étrangères syrien. La propension à assassiner ses propres citoyens n’a apparemment pas fait comprendre à Moscou que la Russie mise de nouveau sur les mauvais chevaux. Alors que les politiques russes de répression et d’anticipation d’une contre-révolution équivalente sont aussi bien indicatives de peur, de faiblesse et d’une incapacité à transcender le statu quo, nonobstant les appels de Medvedev à la modernisation. Si la Russie ou ses voisins devaient faire l’expérience de leur propre version du printemps arabe, les élites de Moscou, déterminées à conserver le pouvoir et à préserver l’amitié des tyrans alliés, pourraient faire leur propre expérience, en proportion violente, de ce qui est réellement aujourd’hui un processus révolutionnaire au Moyen-Orient.
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