L’ère Kaberuka
Métamorphosé par son action á la tête de la BAD, le président Kaberuka a réussi, á travers un réseau d’influences, á lui donner visibilité et notoriété.
«Un comité des gouverneurs représentant les actionnaires de la Banque africaine de développement (BAD) a, lors d’une réunion tenue en avril á Washington, entériné un triplement du capital de la Banque, qui serait ainsi porté á 100 milliards US $.» L’annonce de cette bonne nouvelle ne peut mieux tomber, á quelques jours des assemblées annuelles qui auront lieu, cette année, á Abidjan (Côte d’Ivoire). Non qu’il y ait des doutes au sujet de ce choix stratégique, mais, en ces temps oů les effets de la crise économique perdurent encore – et oů l’argent est rare -, cette accélération de la prise de décision était tout simplement inattendue. Les 77 actionnaires – 53 pays régionaux et 24 pays non régionaux (ces derniers participent á hauteur de 40 % au capital de la BAD) – ont fini par comprendre l’importance de cet enjeu pour l’Afrique.
Ce succès, même s’il faut le consolider et le poursuivre pour aller jusqu’au bout de la démarche, n’est pas dû au hasard. Le président Donald Kaberuka en a fait l’un de ses axes stratégiques après avoir vécu, au cours de son mandat, trois crises majeures ; alimentaire, énergétique, financière et économique. Pour faire face á cette situation, la BAD a dû redéployer ses moyens financiers – et même, en partie, humains – pour venir en aide á tel ou tel pays ou projet. Cette urgence était loin d’être facile á gérer et á manier. C’est en période de crise que l’on se rend compte vraiment du tempérament d’un dirigeant et de sa manière de limiter les dégâts et de maîtriser, autant que faire se peut, le cours des choses. Pour l’avoir suivi et observé, depuis les premiers moins de son installation (2005), il est incontestable que l’action menée á l’intérieur de cette institution de quelque 1 400 employés, dont plus de 860 sont des experts de haut niveau, ont métamorphosé cet homme. T out pouvoir, dit-on, est un formidable aphrodisiaque. Chez lui, pour déceler cette transfiguration, une longue observation est nécessaire. Donald Kaberuka n’est pas un homme qui se livre facilement. S a maîtrise de soi et son sang-froid lui confère un côté british. S es années d’études universitaires, passées á Glasgow, y sont-elles pour quelque chose? Sûrement!
Comment caractériser l’«ère Kaberuka»?
En arrivant, il a d’emblée compris la nécessité de réformer la BAD en réduisant le poids de ses inerties et en bousculant ses habitudes et ses conservatismes. Cette étape passe aussi par le choix de nouveaux hommes, á travers une hiérarchie clairement identifiée, compétente et rajeunie. «Mais cela ne suffit pas, il faut surtout une vision et une stratégie», nous précise-t-il lors d’une discussion á bâtons rompus.
Toutes les activités qui ont été lancées procèdent de cette logique. La BAD est non seulement l’instrument du développement de l’Afrique, mais elle s’est également imposée comme l’acteur de référence dans ce domaine auprès des autres interlocuteurs africains et internationaux. Visibilité et notoriété ont sorti définitivement cette institution de son pré carré confidentiel. De Tanzanie á l’Algérie, en passant par la Tunisie, nous l’avons suivi dans ses visites sur le terrain. Pour répondre á sa politique de proximité, 25 bureaux locaux ou régionaux quadrille le continent, même si ce nombre a besoin d’être augmenté. Pour être constamment confronté á la réalité, Donald Kaberuka a sillonné la quasi totalité des 53 pays du continent membres de la BAD (excepté la Guinée-Bissau, Madagascar et Sao Tome). Le tout dernier voyage qu’il vient d’effectuer est au Cap-Vert, un pays dépourvu de moyens qui vient d’accéder au statut de pays á revenu intermédiaire. U ne vraie réussite pour tordre le cou á l’afro-pessimisme qui a parfois cours!
Au-delà de l’implication de la banque, á travers des projets et des plans d’action régulièrement traités ici, le président a su s’imposer comme un interlocuteur incontournable auprès des décideurs internationaux – Chine, Inde, Japon, Europe, États-Unis – mais aussi auprès des autres institutions: Banque mondiale, FMI, etc. S a présence au G20 est la marque de l’autorité et de la crédibilité acquises ces dernières années.
Non seulement, il a décomplexé la Banque, mais il a réussi á l’insérer dans un réseau d’influence pour rendre audible l’Afrique! Pour que les activités de cette institution ne soient ni retardées, ni perturbées par ses visites de terrain, un poste de vice-président (chief operating Officer, COO) a été créé – en la personne de M. Nkosana D. Moyo – pour assurer la cohésion et la continuité pendant son absence du siège. De son expérience politique, en tant qu’ancien ministre des Finances de son pays (Rwanda) – oů il fut l’architecte en chef des réformes économiques – il tire une grande maîtrise des mécanismes de décision: hiérarchiser, arbitrer, décider et traduire dans les actes.
Cet homme, constamment en mouvement, cultive une curiosité insatiable. Il lit deux á trois livres par semaine, malgré un agenda très chargé. «Après avoir terminé un livre sur le Soudan, j’en ai commencé un autre sur l’Algérie», nous dit-il á Tokyo. S on objectif: lire un livre sur chaque pays africain. Écouter, comprendre, décrypter, analyser… c’est son viatique et ce qui le guide dans son action.
Il est assuré d’être réélu, pour un second et dernier mandat, aux prochaines assemblées annuelles, le 27 mai 2010. Même si les temps sont difficiles, Donald Kaberuka ne va pas tarder á afficher ses ambitions pour faire de la BAD l’acteur majeur du décollage économique de l’Afrique.
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