L’ère Mohamed Ould Abdelaziz
Dans la période d’interrègne, qui va de son élection, le 18 juillet, au jour de son investiture, le 5 août 2009, le président Mohamed Ould Abdelaziz, qui avait élu domicile dans son ancien quartier général de campagne Al Khaïma City – un immeuble de bureaux en plein centre-ville – recevait sans arrêt des visiteurs. Ces nombreuses consultations précèdent des décisions stratégiques sur le choix des hommes qui vont incarner cette ère nouvelle et le projet de société qu’il entend impulser. C’est dans ce contexte qu’il nous a reçu, pendant quarante minutes, pour son tout premier entretien à la presse internationale. Malgré de faux airs de timide, il sait ce qu’il veut. Il se veut porteur d’un vrai projet de société. Et il veut, en tout état de cause, s’en donner les moyens. On ne va pas tarder à le juger sur les actes. Des informations, qui circulent dans les cercles les mieux informés et des confidences recueillis ici ou là, indiquent que le nouvel homme fort de la Mauritanie va s’appuyer, dans cette phase, sur un gouvernement de techniciens pour mettre le pays sur la voie de la réforme.
Il en sera l’architecte en chef. En abandonnant ses habits de militaire, en avril dernier, il a marqué sa volonté de se choisir un autre destin. Celui d’un civil au pouvoir. Au fil de cette rencontre, souriant, très en forme et chaleureux, le nouveau président n’a esquivé aucune question. Cela laisse augurer sa volonté de mettre en valeur son visage humain, rompant avec l’image du militaire sévère et strict.
Quand on le pousse plus loin sur l’alchimie du pouvoir et son côté aphrodisiaque, il répond, sans ambages – manière de dire qu’il en est conscient et sait donc s’en prémunir – que ce sont souvent les courtisans qui poussent vers cette «ivresse».
Après votre victoire électorale et la reconnaissance internationale, dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui?
J’estime que c’est le peuple mauritanien qui sort victorieux d’une épreuve qui a duré pratiquement trois ans, après que son espoir, dû au changement du 3 août 2005, a été déçu par les gouvernements qui se sont succédé. Cette victoire prouve que les Mauritaniens ont opté pour un changement qui va permettre au pays de sortir de la crise, d’entrer dans une ère que nous pensons être meilleure, et d’avancer sur la voie du développement, de la stabilité politique et de la sécurité.
Cette période a été, pour vous, riche d’enseignements. Comment avez-vous pu gérer les données, la situation et les comportements?
Effectivement, cette période m’a beaucoup apporté. Je suis convaincu que l’on peut faire beaucoup pour ce pays, qui est riche. Je n’ai cessé de le dire, et je le prouverai. Malheureusement, la Mauritanie a été victime de son élite et d’une classe politique qui ont régné sur le pays pendant 50ans, de l’indépendance à aujourd’hui. En parlant de classe politique, je ne désigne pas des individus en particulier. Ce sont une vision, une stratégie, une conception et une façon de faire qui ont été néfastes. Grâce au peuple mauritanien, la page est maintenant tournée.
Que pensez-vous de ceux qui continuent de contester les résultats malgré leur validation par les observateurs étrangers?
Ce genre de contestations n’est pas spécifique à la Mauritanie. Chaque élection comporte un gagnant et, parfois, plusieurs perdants. Par conséquent, il est tout à fait normal que les perdants contestent le résultat. En tout cas, s’il y a eu fraude, ce n’est pas dans mon camp. C’est la première fois que je me présente aux élections et mon staff est constitué de jeunes, inexpérimentés. L’autre camp à l’habitude des élections, a pratiqué la fraude, la manipulation et la désinformation. Comme ils ont perdu, il faut trouver une raison à leur défaite.
On ne peut s’empêcher de faire un retour en arrière en s’interrogeant sur les circonstances du putsch de 2008. Etait-il vraiment nécessaire? Qu’est-ce qui le justifiait? Que signifie pour vous le processus de rectification?
Je crois qu’il faut revenir à 2005, et même avant, pour comprendre ce qui s’est passé en août 2008. Il y avait une démocratie de façade – en réalité une dictature – qui a fait vivre les pires maux à la Mauritanie: tentatives de coups d’Etat à répétition, liquidations physiques, injustice sociale, corruption, gaspillage… Tout ce qu’on peut imaginer dans un Etat de non droit. C’est ce ras-le-bol qui a conduit au changement de 2005, avec pour objectif de ramener le pays sur la bonne voie. Malheureusement, au bout de quelques mois seulement, l’équipe en place n’a pas su maintenir le cap initial.
Pourtant vous y étiez associé…
Non! Je n’y ai pas été associé, même si, en réalité, j’en ai été probablement été le principal artisan. J’ai agi, avec quelques officiers, pour un changement radical qui devait permettre de tourner la page. Malheureusement, au bout de quelques mois, nous sommes revenus en arrière: les mêmes équipes, les mêmes gens symbolisant le passé ont repris le contrôle. Nous avons dû gérer la situation jusqu’à la fin, organiser des élections démocratiques, libres, transparentes et crédibles. Mais la vie est parfois décevante, et, au final, nous avons élu un président pire que les précédents. Il a brillé par son absence et, de ce fait, ceux qui régnaient depuis un demi-siècle ont réaccaparé le pouvoir. En face, les parlementaires, élus du peuple et qui souhaitaient le changement, résistaient: ils ont protesté, manifesté contre ce retour au passé. Les équipes au pouvoir ont alors conseillé au président de se débarrasser des principaux opposants et de limoger les principaux chefs militaires, en une seule matinée. Voilà ce qui s’est produit, sans le moindre respect de la loi. Le matin du 6 août 2008, je suis allé à mon bureau pour travailler, et non pour fomenter un coup d’Etat. J’y ai été contraint par l’action illégale de l’ancien Président, engagée dans un cadre familial et non officiel. J’étais obligé de réagir pour sauver le pays, parce que le peuple mauritanien n’avait pas voté pour ce retour en arrière. C’est la véritable raison de ce coup d’Etat. Un coup de trop, peut-être, pour certains, mais nécessaire, voire vital pour le pays.
Comment jugez-vous l’attitude d’Ely Ould Mohamed Val, votre cousin germain et votre allié d’hier? Votre mésalliance a-t-elle produit des dégâts dans le clan familial?
Il ne faut pas lier la candidature de l’ancien président du Comité militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) au clan familial. Cela n’a rien de familial. Et puis, s’il y a un jugement à ce sujet, il a été fait à travers les élections. Il a eu ce que le peuple mauritanien a voulu lui accorder. C’est tout.
Quels seront vos grands chantiers pour les premiers 100 jours, et vos priorités pour la Mauritanie?
J’ai un programme que j’estime être la meilleure voie pour sortir le pays de cette situation. Il s’agit essentiellement d’améliorer les conditions de vie des citoyens en les faisant bénéficier des ressources de leur pays. Je l’ai dit, et je le répète, nous sommes un pays riche. Nous avons un million de km2, pour une population de trois millions d’habitants. Nos ressources sont extrêmement nombreuses, il suffit de ne pas les dilapider, de lutter contre la corruption et le gaspillage. Il faut faire profiter les Mauritaniens de ces ressources d’une manière juste, équitable et judicieuse, encourager les investisseurs en instaurant une justice indépendante.
Concrètement, quels sont vos grands chantiers?
L’amélioration les conditions de vie par la création des infrastructures nécessaires. Le développement de l’éducation, d’une formation professionnelle adaptée à nos besoins actuels, ce qui se répercutera sur la santé. Nous avons des médecins, mais nous manquons d’équipements. Tout cela aussi dans un pays sécurisé et stabilisé.
On dit que vous êtes le « président des pauvres », est-ce une façon de jouer le peuple contre une certaine élite?
Je ne joue pas le peuple contre une certaine élite. Je ne manipule pas le peuple. Ma politique n’est pas populiste. Nous avons énormément de pauvres dans ce pays et des laissés-pour-compte. Il suffit d’aller vers ces gens et de régler ce qui peut l’être immédiatement. Vivant à Nouakchott, je connais la situation depuis longtemps. Même lorsque j’étais dans les allées de la présidence, je savais ce qui se passait et ce qui devait être fait.
Vous aviez une pleine connaissance de la difficile situation de vos compatriotes…
Oui, simplement parce que je voyais clairement la situation, et j’étais écoeuré! C’est tout. Il a fallu mettre en œuvre certaines choses. J’ai commencé par distribuer des parcelles de terrain aux populations nécessiteuses. Notre territoire couvre plus d’un million de km2 et tandis qu’une minorité possède des dizaines et des dizaines d’hectares, certains vivaient sur de toutes petites superficies, des familles entières ne pouvaient se loger. C’est intolérable, inadmissible et surtout injuste! Cela peut se régler sans qu’il soit nécessaire d’attendre un financement de la Banque mondiale ou un autre.
Corruption, népotisme, détournements d’argent, trafics en tout genre, qu’est-ce qui explique que le pays ait été, des années durant, dans cette culture? Votre rôle de redresseur de situation ne risque-t-il pas de susciter l’hostilité des lobbies financiers qui ont déjà joué contre vous?
Effectivement, cela peut les déranger. Mais, en définitive, ils comprendront que c’est aussi une manière de leur rendre service. Parce que cette situation peut conduire à l’insécurité et à l’éclatement du pays. Vivre dans un pays ou la grande majorité des Mauritaniens se trouve sous le seuil de pauvreté, dans la misère, alors qu’une infime minorité dispose de toutes les richesses, est moralement inacceptable, dangereux et peut les conduire à perdre tout ce qu’ils ont accumulé pendant des années. Je crois qu’eux-mêmes savent qu’ils sont en tort. Répartir les richesses de manière équitable, aider les pauvres, améliorer leurs conditions de vie est en fait un gage de stabilité et de sécurité pour tout le monde, y compris pour ceux-là même qui sont habitués à se servir des ressources du pays. Je crois que la force du peuple est plus importante que toute autre. L’ensemble des Mauritaniens a opté pour le changement. Les autres suivront.
Nouakchott frappe par son manque d’infrastructures. Qu’est-ce qui explique cette réalité, alors que le pays a des ressources: or, fer, pétrole, pêche, tourisme…?
Cette situation est le fait de la classe politique qui a régné sur le pays depuis plusieurs décennies. Voilà ce qu’est son bilan! Elle a pratiqué un pillage systématique de tous les biens et le résultat final est nul. Nous avons effectivement des mines de fer, d’or, de cuivre, du pétrole, nous avons les ressources halieutiques probablement les plus importantes de la région. Nous exportons tous ces produits à l’étranger. Malheureusement, cela n’a servi que les intérêts personnels d’une poignée d’individus. C’est pourquoi le pays n’a pas progressé.
Cela est-il dû aux mauvaises habitudes héritées de la période écoulée?
Ce n’est pas la pratique d’une seule personne. C’est le produit d’un système.
Quelles seront les principales orientations de votre diplomatie régionale?
Nous devons tout d’abord améliorer, renforcer et diversifier les relations avec tous les pays voisins et frères: les pays du Maghreb Arabe et les pays membres de Organisation de la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS). Nous entretenons déjà de bonnes relations avec ces pays, cependant je voudrais à l’avenir – car il y va de l’intérêt de tous – les consolider.
Sur un autre plan, qu’est-ce qui explique les hésitations des grandes puissances comme les Etats-Unis, la France et d’autres, à votre arrivée au pouvoir en août 2008?
Je comprends parfaitement cette réaction. Ils se sont basés sur des principes; moi j’ai agi suivant mes raisons.
Le terrorisme est un facteur menaçant pour la Mauritanie. Vous avez même participé personnellement à l’arrestation de certains terroristes djihadistes. Comment se fait-il que ces réseaux frappent avec une facilité déconcertante au coeur même de la capitale mauritanienne?
Le terrorisme ne touche pas seulement la Mauritanie. Il ne connaît ni les frontières ni les nationalités. Il s’agit chez nous d’un terrorisme naissant. Comme tous les pays, nous avons une jeunesse parfois égarée, qui se trouve prise dans les mailles du filet ; elle est alors embrigadée, entraînée et se retourne parfois contre son propre pays. Nous devons combattre ce phénomène, en coordination avec d’autres pays partenaires. Il faut s’y attaquer sur plusieurs fronts, notamment au plan militaire et sécuritaire. Il faut aussi protéger notre jeunesse en luttant contre la pauvreté, l’exclusion et la misère, qui pourraient la conduire à se jeter dans les bras du terrorisme.
Dans cette lutte, êtes-vous conseillés, aidés et appuyés par des experts américains, européens et autres?
Nous nous entraidons! Le phénomène du terrorisme est mondial. Nous avons besoin de faire des échanges d’idées, des formations, etc. Nous le faisons déjà! Dans la lutte contre le terrorisme chacun a ses méthodes, ses procédés. C’est pourquoi il faut un échange d’informations et d’assistance. Pas un pays ne peut, seul, combattre le terrorisme, à cause de ses ramifications d’une part, à cause des liens des terroristes avec de nombreux pays d’autre part. Nos Etats ont besoin d’une coopération mutuelle, de même que les terroristes coopèrent très bien entre eux.
Pensez-vous jouer un rôle, notamment au plan régional, pour impulser l’UMA et être un facilitateur entre le Marocet l’Algérie?
Ce n’est pas à moi seul du faire! C’est le devoir de tous les chefs d’Etat du Maghreb arabe d’aller dans ce sens. Et chacun en fonction de ses capacités, de ses possibilités…
Pour les opportunités d’affaires, y aura-t-il des critères pour accéder au marché mauritanien. Pensez-vous faire jouer la concurrence entre les entreprises?
Le pays est assez grand pour accueillir tout le monde. On a besoin de tous: Chinois, Américains ou Russes… L’objectif essentiel, pour nous, étant l’intérêt du pays et l’amélioration des conditions de vie des citoyens, dans la transparence et la clarté.
Evénement rare et gardé secret jusqu’ici, lors de votre campagne électorale, votre hélicoptère a eu de sérieux ennuis techniques en plein désert. Racontez-nous les circonstances de cet incident?
Je ne sais pas si c’est la baraka, mais je n’ai jamais pensé que je mourrais ce jour-là. Je savais que j’allais me présenter aux élections et que je deviendrai président de la République, avec un vrai projet de société pour mon pays.
Le grand public vous connaît peu. Vous êtes réservé et pudique. Qu’est-ce qui explique cet extérieur presque ascétique chez vous? La vie de militaire vous a-t-elle façonné une carapace pour dominer toute émotion?
Oui, c’est ma vie de militaire, c’est aussi ma manière d’être, mon tempérament.
[…] Hichem BEN YAÏCHE – Mohamed Ould Abdelaziz, le président du people […]