Ambasada Republicii Tunisiene la Bucureşti
سفـا رة الجمهـورية التــونسيّة
بوخــارست
Saloua BAHRI
Monsieur le Président de la Fondation «Titulescu»,
Excellences, chers collègues,
Distingués invités,
Mesdames et Messieurs,
Je suis honorée d’être parmi vous encore une fois cette année dans ce si vénérable espace pour m’entretenir avec vous d’un thème on ne peut plus d’actualité et d’intérêt pour tous les pays: du dialogue des cultures et des civilisations à l’alliance des civilisations: tolérance et solidarité.
Je tiens également à vous remercier d’avoir répondu à notre invitation; votre présence et votre participation ne manqueront pas d’enrichir le débat et d’approfondir la réflexion.
Le choix du thème de cette conférence confirme l’attachement de mon pays, la Tunisie, au dialogue des civilisations et des cultures, qui constitue le meilleur bouclier pour préserver, au-delà de la richesse du patrimoine universel et du renforcement des valeurs communes, la meilleure contribution au développement des relations internationales et de l’instauration de la sécurité et de la paix
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Je représente un pays qui a été en effet, durant plus de trois millénaires, un modèle d’enrichissement réciproque et de dialogue entre les civilisations, d’ouverture et d’authenticité. La Tunisie a été durant l’époque de Carthage jusqu’à la période romaine et ensuite la période arabo-musulmane, et tout au long de ses périodes de contact avec l’Occident européen, un symbole de coexistence et d’enrichissement mutuel entre nombre de civilisations, de cultures, de religions et de langues, comme en témoigne encore ses monuments historiques.
Son identité multiple et diverse: africaine, arabe, musulmane, méditerranéenne, qu’elle cultive parce qu’elle connaît et apprécie sa richesse, a facilité aujourd’hui son intégration dans les mutations du 21ième siècle et constitue une autre illustration de la démarche dont mon pays tire beaucoup de fierté et qu’il s’emploie à promouvoir et à poursuivre au fil des ans.
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Le dialogue des civilisations et des cultures n’est pas nouveau; il suffit de se référer à la civilisation arabo-musulmane qui a été un modèle authentique de brassage culturel qu’il est indispensable d’ailleurs de mettre aujourd’hui en relief. Il s’agit en effet d’un modèle qui a pu, grâce à l’ouverture sur l’autre, à la maîtrise de ses langues, à la compréhension de ses cultures et à l’assimilation de ses connaissances et de ses créations, faire la synthèse des merveilles de la Mésopotamie, de l’Egypte ancienne, de l’Inde et de l’Extrême Orient et tirer profit des réalisations des Phéniciens et des Carthaginois, ainsi que de la sagesse des Grecs et des Romains et de leurs connaissances. La civilisation arabo-musulmane s’est déployée ensuite, à travers l’Andalousie et la Sicile pour rayonner sur l’Occident et lui permettre de profiter à son tour, des connaissances et de la science acquise par le monde islamique dans les domaines des mathématiques, de la médecine, de l’astronomie, de la philosophie et des arts, contribuant ainsi au mouvement de renaissance de l’Occident et à l’impulsion de la civilisation universelle contemporaine. L’exemple de l’Andalousie arabo-islamo-judéo-chrétienne, a généré des merveilles dignes de se joindre au sept merveilles du monde.
Malheureusement, ce dialogue entre les cultures et les civilisations fut, sinon interrompu, du moins fort perturbé par les guerres de religions et les croisades, ainsi que par l’expansion violente des impérialismes, notamment en Afrique et en Asie.
Aujourd’hui, les carences dont souffre le dialogue des cultures et des civilisations se trouvent fâcheusement renforcées, voire exacerbées: jusqu’à la provocation et l’explosion.
L’aggravation des déséquilibres sociaux, économiques, scientifiques et technologiques entre les pays du Nord et les pays du Sud, l’extension du champ des tensions et des conflits dans le monde, l’absence et le refus des solutions communes et équitables aux problèmes internationaux qui restent posées, en plus de la pratique des deux poids et deux mesures dans l’approche adoptée dans le traitement de ces problèmes, montrent, on ne peut mieux, que notre monde aujourd’hui n’est pas tout à fait ce qu’il devrait être et que les relations internationales se trouvent dans un état qui suscite la préoccupation et l’inquiétude.
L’observation des événements qui surviennent un peu partout dans le monde et qui heurte la conscience humaine par leur violence et leur atrocité, permet de mesurer rapidement la gravité du niveau qu’a atteint l’exaspération de la haine et de l’inimité entre les humains.
L’augmentation des manifestations racistes et des discriminations à l’encontre des immigrés, particulièrement Musulmans, ainsi que la montée des discours nationalistes, prônés par les Partis d’extrême droite, constituent une autre aberration.
C’est que la peur et la méfiance générées par les événements du 11 septembre 2001 ont poussé les relations entre les sociétés arabes et islamiques, et les sociétés européennes et américaines vers une situation dominée par la méfiance et l’incompréhension. Les extrémistes des deux camps ont profité de cette situation pour raviver les rancœurs et attiser la discorde.
Le fondamentalisme occidental s’est ainsi employé à ancrer la haine des étrangers et à théoriser sur la confrontation des cultures et le choc des civilisations, concept erroné qui vise à dissimuler un conflit d’intérêts devenu une réalité établie. Le fondamentalisme islamique s’est, pour sa part, enfoncé dans les thèses réactionnaires et extrémistes, en prétendant agir au nom de l’Islam, qui ne se reconnaît nullement dans leurs thèses, et en cherchant à imposer ses orientations intellectuelles et spirituelles par la violence et le terrorisme.
Voilà un constat plutôt sombre et peu séduisant; il y a danger pour tous, si la barque chavire, le sinistre est total pour les pays du Nord et du Sud, les riches et les pauvres. Aussi faut-il chercher des solutions adéquates qui aboutissent à une situation génératrice de paix, de stabilité et de justice.
En effet, la stabilité et la sécurité mondiales, ainsi que la réalisation des aspirations des peuples à la sécurité et au développement, sont tributaires de l’élimination de ces obstacles à travers l’écoute d’autrui et en oeuvrant d’une manière sérieuse et responsable à assurer l’entente et le rapprochement entre toutes les civilisations, cultures et religions, tout en reconnaissant qu’il n’y a pas lieu aux dissensions, à la discrimination, ou une quelconque préférence entre elles et que leur diversité, leur différence et leur pluralité constituent, bien au contraire, une source d’enrichissement pour l’existence humaine. Un dialogue véritable et continu est indispensable pour atteindre ces nobles objectifs, sur la base de la perception et du respect des spécificités de chacun dans le cadre de la coexistence pacifique, de la coopération et de la solidarité.
Notre conviction est que la réalisation d’un lendemain meilleur aux peuples demeure l’objectif commun, que toutes les Parties devront concrétiser. Pour ce faire, il incombe à tous de consolider l’atmosphère du dialogue, l’interaction entre les civilisations et les cultures, ainsi que la cohabitation entre les religions, selon une vision basée sur l’ancrage de la pédagogie de la tolérance et de la solidarité comme valeurs centrales et constantes, de manière à contribuer à dissiper l’amalgame entre Islam et terrorisme qui s’est propagé à la suite des événements du 11 septembre.
De nombreuses initiatives et des approches diverses sont apparues ces dernières années pour défendre le dialogue des civilisations et des cultures ; de nombreuses rencontres portant sur la tolérance, le dialogue des civilisations et la solidarité internationale, tant au niveau des pays que des organisations nationales et régionales spécialisées qui se sont employées à apaiser les sentiments agressifs des uns et des autres, mettant en garde l’opinion publique mondiale contre la montée de l’extrémisme et de la violence et l’incitant à faire face à ce phénomène à travers un dialogue multilatéral, qui rejette le fanatisme, les préjugés, les stéréotypes et les généralisations simplistes, qui exacerbent les mésententes.
Parmi ces initiatives, l’on peut citer:
– la résolution de l’Assemblée Générale des Nations-Unies (novembre 1998), faisant de 2001 l’année des Nations Unies pour le Dialogue des Civilisations;
– la résolution de la dixième Conférence du Sommet Islamique (Malaisie, octobre 2003) concernant la déclaration universelle sur le dialogue entre les civilisations;
– les différentes initiatives de l’OSCE dans la lutte contre la discrimination et la promotion du respect et de la compréhension mutuels dont Bucarest a bien voulu abriter les travaux de la Conférence Ministérielle tenue en juin 2007.
Cependant, il faut reconnaître qu’en dépit de la conscience croissante des vertus du dialogue aux niveaux national, régional et international, ce dialogue, bien que nécessaire, a été inégal et déséquilibré. Pour certains, la simple évocation du dialogue entre les cultures et les civilisations relève de la naïveté. La diabolisation de l’autre demeure la voie facile: pour les Musulmans, l’Occident est une menace pour leurs croyances et leurs valeurs, leurs intérêts économiques et leurs aspirations politiques; de la même façon, les Occidentaux considèrent l’Islam comme une religion d’extrémisme et de violence.
Pour que le dialogue entre les civilisations, les cultures et les religions soit équilibré et fructueux, il doit:
– démontrer une volonté réelle de compréhension et de solidarité, afin de construire la culture de l’universel;
– placer les droits de l’Homme, la liberté, la modernité, l’authenticité et l’attachement à l’identité comme valeurs permanentes mutuellement respectées;
– pratiquer l’interculturalité et l’intercréativité afin de déboucher sur la nécessité de construire un nouvel humanisme de la cohabitation, ce qui revient à consolider et diversifier les multiples liens et affinités traditionnelles existant entre les pays;
– stimuler les mécanismes de coopération et de solidarité existant entre l’ensemble des Etats et mobiliser tous les efforts pour remédier aux causes de tension et de conflit, atténuer les phénomènes de pauvreté et de maladie dans le monde, éradiquer tout ce qui peut élargir le fossé entre les nations et aggraver les sentiments de frustration, de désespoir et de haine. En bref, œuvrer à la concrétisation de programmes durables de mise en valeur du potentiel économique et humain, notamment en Afrique subsaharienne.
Tout cela n’aura guère d’effet si le climat actuel de crainte et de suspicion continue d’être alimenté par les événements politiques au Proche Orient et ailleurs.
Le dialogue ne peut, de manière absolue, naître du vide, car il a ses propres préludes, conditions et règles, qu’il est impératif de comprendre et de cerner, pour consolider la connaissance mutuelle et le rapprochement entre les deux Parties. C’est une étape préliminaire fondamentale pour l’élimination des motifs du doute et de l’hésitation, des fausses impressions, des jugements excessifs, des comportements agressifs et des réactions exacerbées, afin que les deux Parties puissent faire un pas complémentaire en direction du raffermissement de leurs relations et de la création d’une alliance positive créatrice.
En effet, tout en nous félicitant de la nouvelle initiative de l’Alliance des Civilisations lancée en septembre 2004 devant l’Assemblée Générale des Nations-Unies, par M. Rodriguez Zapatero, Chef du Gouvernement espagnol, assumée par l’ONU et bénéficiant, depuis avril 2007, d’un haut représentant désigné par le SG-ONU, l’ancien Président du Portugal, M. Jorge Sanpaio, nous demeurons convaincus que cette Alliance ne peut réussir que si elle prend appui sur un dialogue sincère et honnête, fondé sur des convictions communes, assise sur les valeurs universelles et les engagements réciproques envers l’Humanité, avec la participation et l’engagement de tous les Gouvernements sans exclusive, les institutions, les organisations et associations, ainsi que les élites intellectuelles, culturelles, sociales et scientifiques, des centres d’éducation et de formation et des organes d’information et de communication, partout dans le monde.
Dans son plan d’action, le Groupe de haut niveau de l’Alliance des Civilisations, composé de 20 personnalités internationales, a fait part, dans son rapport présenté en novembre 2006, de cette approche globale et de cette œuvre collective, pour favoriser une meilleure compréhension entre les cultures.
La réussite de cette approche globale est aussi tributaire du :
– rôle fondamental des médias dans la consolidation du dialogue des cultures et des civilisations et le rapprochement des peuples. Les médias constituent la voix idéale d’orienter l’opinion publique et les comportements, de contribuer à l’enseignement de la tolérance et de faire valoir le dialogue et la compréhension mutuelle. Les connotations négatives et la désinformation sur l’autre, contribuent à enraciner les stéréotypes négatifs auprès de l’opinion publique et à nourrir les sentiments de haine.
– du rôle de la société civile pour une coopération active, améliorée et complémentaire avec les autorités nationales;
– de la formation des jeunes générations, notamment à travers les programmes d’éducation et d’enseignement, en vue de consacrer les valeurs de dialogue, d’entente, de modération et de tolérance, tout autant que l’éducation de l’acceptation de l’autre et à la coexistence avec lui et le respect de ses points de vues. Cette démarche offrira à nos jeunes générations une solution de rechange crédible au chant des sirènes appelant à la haine et à l’extrémisme.
Le moment est venu pour nous de dépasser la double opposition entre l’Orient et l’Occident et entre le Nord et le Sud et de nous débarrasser des malentendus accumulés de part et d’autres, afin de reconnaître tout le contenu moral et humain qui caractérise les civilisations, cultures et religions de tous les peuples. Il nous est dès lors indispensable de renforcer le rapprochement, la communication, la coopération et la solidarité entre nous dans le cadre de l’équité et du traitement d’égal à égal, loin de toute exclusion ethnique, intellectuelle, religieuse ou politique, afin que notre communauté internationale puisse venir à bout de ses problèmes, de ses crises et de ses déséquilibres et préserver son évolution et son épanouissement.
La sécurité, la stabilité et la prospérité des Etats sont indissociables de la sécurité, de la stabilité et de la prospérité du monde. Voilà bien ce qui doit approfondir la dimension universelle de notre réflexion et de notre comportement, tant cette dimension représente un engagement moral qui consacre la communication et l’entente entre nous, indépendamment de la diversité de nos spécificités raciales, religieuses et culturelles et par-delà les écarts en matière de progrès et de développement qui nous séparent: c’est que l’Humanité est un tout indivisible, notre monde est partout le même, notre devenir est aussi le même. Nous n’avons pas d’autre choix que celui de la coopération et de la solidarité pour affronter ensemble les risques et dangers et disposer ensemble des intérêts et bienfaits dont nous avons besoin.
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Mon pays, la Tunisie, qui continue à aller de l’avant dans le renforcement du dialogue entre les peuples, s’attache à joindre ses efforts à ceux de toutes les forces du bien de par le monde, en vue de consacrer la culture du dialogue, de la généraliser, de l’approfondir et d’élargir ses volets. C’est là, désormais, une règle de conduite immuable, dés orientations et des choix de la Tunisie, qui a été avant-gardiste dans ce domaine, par ses différentes initiatives:
– «la Charte de Carthage sur la tolérance», publiée en avril 1995, en collaboration avec l’UNESCO;
– la Chaire universitaire pour le dialogue des civilisations et des religions, créée en novembre 2001;
– le Prix Mondial du Président de la République pour les études islamiques, dans le but d’enrichir l’effort d’interprétation de notre religion, institué en décembre 2002;
– le Forum de Tunis pour la paix, mis en place en mai 2005, avec le concours de l’Organisation de la Conférence Islamique;
– le Centre de Recherches et d’Etudes Comparées sur le dialogue des civilisations et des religions a été créé en juin 2005;
– la Déclaration de Tunis pour l’Alliance entre les Civilisations, publiée en février 2006, en coopération avec l’Organisation Islamique pour l’Education, les Sciences et la Culture ISESCO.
La Tunisie, qui s’enorgueillit du choix de la ville de Kairouan comme capitale de la culture islamique pour l’année 2009, en vertu d’une Résolution de l’Organisation de la Conférence Islamique, est prête à accueillir tout dialogue régional ou international qui puisse servir la concorde, la coexistence et l’entente et favoriser la consécration de la sécurité, de la paix et de la stabilité dans le monde.
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Telles sont quelques réflexions pouvant servir d’introduction à nos discussions et débats sur le thème de cette conférence, tout en vous priant d’excuser mon insistance sur la nécessité et l’importance à donner au dialogue des cultures et des civilisations dans nos relations, seule arme de couper le chemin au terrorisme et d’apaiser les tensions entre les différentes communautés culturelles et religieuses générées par l’amalgame entre Islam et terrorisme. Un glissement dangereux qu’il faut éradiquer, car il risque de créer un fossé d’incompréhension et d’intolérance, aux conséquences incalculables.
Je suis persuadée que vos interventions ne manqueront pas d’enrichir le débat.
Merci pour votre attention!
Conférence sur le thème «Du dialogue des cultures et des civilisations à l’alliance des civilisations: tolérance et solidarité»
(4 mars 2008)
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