Nicolae IORGA
Après une époque de dilettantisme romantique (On trouvera le résumé des fouilles entreprises dans les pays roumains dans l’ouvrage cité plus bas, dans le texte, de M. J. Andrieşescu, p. 12 et suiv. (bibliographie complète, avec le répertoire, d’une minutie parfaite, des objets découverts jusqu’à la veille de la Grande Guerre). Cf. Andrieşescu, Rumänien (1920-1926) dans le Vorgeschichtliches Jahrbuch, III, pp. 212-217. Pour les études d’amateur d’un Bolliac, à Vădastra, voy. N. Densusianu, Dacia Preistorică, p. 32 A Olteniţa, ibid, p. 43. Cf. Grégoire Buţureanu, dans l’Archiva soc. şt. şi lit. de Jassy, I, et N. Beldiceanu, Antichităţile din Cucuteni, Jassy 1885. Nous ne critiquerons pas les constructions bizares, qui vont jusqu’à une psychose, du si vénérable historien N. Densisianu, dans sa «Dacie Préhistorique». On s’étonne même que quelqu’un d’un esprit si méthodique que M. Radu Vulpe ait pu écrire sur ce livre: «Travail qui, bien que fantastique, et erroné en fait de détails, de conclusions, est cependant très important par les matériaux rassemblés (Buletinul Comisiunii Monumentelor Istorice, 1924, p. 84, note 2). Car les matériaux sont ceux qu’on emploie couramment. Pour la Transylvanie, voy. Schuller, Siebenbürgen vor Herodot, dans l’Archiv für Kunde österreichischer Geschichtsquellen, XIX, p. 97 et suiv.), avec un César Bolliac, débutant plein de mérite, actif et intelligent, un Démètre Butculescu, un Nicolas Beldiceanu, s’intéressant aux recherches de préhistoire et d’histoire, un Grégoire Buţureanu, découvreur enthousiaste des traces les plus anciennes de la vie préhistorique et protohistorique en Moldavie, et même après les premières recherches, scientifique, d’un Alexandre Odobescu, des études dans le domaine de la préhistoire ont été commencées, avec persistance et pénétration, par M. J. Andrieşescu, à partir de son travail, admirable, de 1912, Contribuţie la Dacia înainte de Romani, dans lequel, ainsi qu’il le dit lui-même, il a recherché – sur la base des travaux de Hubert Schmidt (Voy. son travail définitif, qui a beaucoup tardé, Cucuteni in der oberen Moldau, Rumänien. Die befestigte Stellung mit bemalter Keramik von der Steinkupferzeit bis in die vollentwickelte Bronzezeit, Berlin-Leipzig, 1932.), de ceux de von Stern, lequel, ancien professeur à Odessa, venait de l’école russe d’un Chvoïka, qui a découvert la civilisation de Tripolié, de Hampel, qui a travaillé en Hongrie, ayant comme successeur un Dörpfeld, d’un Hubert Schmidt, lequel était arrivé à fixer un rapport, qu’on veut conserver en dépit du sens des réalités sans lequel l’archéologie aussi, surtout la préhistoire, et tous les départements de la philologie ne sont qu’une autre métaphysique, entre Troie et Mycène, d’un côté, et la Hongrie, de l’autre, – à mettre en vue l’existence en pays roumain d’une grande civilisation préhistorique du type qu’on appelle «Lausitz».
Dès le commencement d’une longue et féconde carrière cet esprit puissant et clair voyait nettement le problème de la préhistoire dans ces régions. Dans sa thèse de 1912 il pouvait parler donc aussi: «On est à même de prouver par des faits d’une authenticité reconnue que la civilisation de la Dacie avant les Romains représente non pas le passage brusque d’un état de barbarie à un autre de lumière puissante et claire, mais plutôt le développement calme et continu, selon les circonstances et les régions, sur un fond de civilisation populaire – plus fort que tout – d’une succession d’époque ayant un caractère de ténacité exceptionnelle. Peut-il y avoir quelque chose qui découvre plus d’horizons nouveaux que le fait que, alors qu’à l’époque romaine la civilisation du Danube inférieur se concentrait dans un coin du
Sud-Ouest de la Dacie, avant cette époque une civilisation d’une importance extraordinaire se développait dans les régions de l’Est, la grande Moldavie jusque vers le Dniestr, identique à la civilisation des régions transylvaines jusque vers le Danube moyen et du Sud du Danube jusqu’à la Mer Égée» (Ouvr. cité, pp. VII-VIII.).
Reliant ces résultats à ceux de la nouvelle école de préhistoire berlinoise, d’élan si téméraire, d’un Kossinna, le professeur bucarestois attribuait aux Thraces, dont il devait admettre la large extension vers l’Est, la création de toute cette civilisation (Voy. aussi le meme, Asupra epocei de bronz în România, dans le «Bulletin de la Commission des Monumentes Historiques», 1915, p. 5, note 3).
En échange, partant sur une autre route et abandonnant d’une façon tacite sa première base, Pârvan cherchait, dans sa dernière synthèse, exprimée à l’occasion des conférences qu’il a données à Cambridge et qui ont été publiées après sa mort, à mettre en rapport toute l’ancienne civilisation préhistorique du Danube avec l’Italie du Nord par les produits «attestins» et «villanoviens». La civilisation scythe aurait affaibli ces rapports. Des rapports de moindre importance auraient eu lieu avec le Sud et avec l’Est. Selon lui, du reste, les Gètes, et d’autant plus Daces, sont différentes comme civilisation culturelle des Thraces des Balcans (Voy. Dacia, An outline of the early civilizations in the Carpatho-Danubian countries, Cambridge, 1928. L’opinion de identité géto-thrace, appuyée aussi sur une collection attentive de tous les noms, peut être trouvée dans Mateescu, Ephemeris daco-romana, I, p. 105 et note 6).
On voit bien le courant nouveau d’idées, déterminé par les conditions dans lesquelles les Roumains ont réalisé leur unité nationale.
Pendant la Grande Guerre, des fouilles ont été pratiquées seulement par des savants qui étaient accourus travailler sous la protection de l’armée d’occupation allemande, ainsi que l’a fait C. Schuchardt, connu par ses études sur les vallums, auteur d’un livre assez connu l’Alteuropa, à Cernavoda, sur le Bas Danube (Cernavoda, eine Steinzeitsiedlung in Thrakien, dans la Prähistorische Zeitschrift, 1924, p. 9 et suiv. Cf. Langesdorff et J. Nestor, ibid., 1929, pp. 228-229. Cf. aussi Léonard Franz, Vorgeschichtliche Funde aus Rumänien, dans la Prähistorische Zeitschrift, IX.).
Seulement après la conclusion de la paix, M. Andrieşescu continuant ses fouilles (Voy. son étude Piscul Crăsanilor. Cf. Pârvan, Getica, O protoistorie a Daciei, Bucharest, 1926, p. 173 et suiv.), on recommencé à travailler dans ce domaine. Vasile Pârvan partait de l’archéologie classique pour chercher ensuite, après s’être initié dans cet autre domaine, à élever de vastes synthèses qui, trop précises, à cause de son accoutumance d’historien, peuvent être attaquables. Depuis longtemps déjà, après un Saxon, M. Julius Teutsch, et, en même temps, un Hongrois, M. François László, M. Martin Roska a commencé de pareilles explorations en Transylvanie où, plus récemment, des Saxons aussi ont fait des études(V.H. Reinerth, Siebenbürgen als nordisches Kulturland der jüngeren Steinzeit, dans Mannus, Suppl. VII, 1929 (inaccessible pour nous, de même que quelques autres éléments de bibliographie)). Sur la même ligne que Pârvan, mais sans une nuance individuelle, a travaillé et continue à travailler toute une école roumaine: feu Mateescu, M. et M-me Vulpe (Voy. par ex. Buletinul Comisiunii Monumentelor Istorice, XVII, p. 40 et suiv. Cf. aussi Revista Istorică Română, IV, p. 311), M. et M-me V. Cristescu, M. et M-me Vladimir Dumitrescu (Voy. aussi Dacia, III-IV, passim.), M. George Ştefan, M. Dorin Popescu, M. D. Berciu (Voy. aussi Mémoire XXI de l’Institut d’Archéologie Olténienne), M. D. V. Rosetti (Voy. les fascicules du même Institut de Craiova, créé par le même M. Nicolăescu-Plopşor. – M. D. Rosetti a fait des fouilles en marge même de risque dans les environs de la capitale roumaine. Voir ainsi Săpăturile de la Vidra, dans les publications du Musée de Bucarest, I).
M. Plopşor a travaillé pour son propre compte et M. J. Nestor s’est gagné une excellente préparation allemande. A côté de M. Andrieşescu, qui a fait des fouilles dans les localités suivantes: à Piscul Crăsanilor, dans le district de Ialomiţa (Piscu Crăsani, dans le Mémoires de l’Académie Roumaine, III, 3), à Sultana (Voy. Bul. Com. Mon. Ist., XIX, p. 170 et suiv.; XXII, pp. 71 et suiv., 165 et suiv.; les fouilles de Sultana, dans Dacia, I, p. 51 et suiv.) et à Zimnicea, de jeunes archéologues ont fouillé dans le voisinage de Bucharest: à Căşcioare, à Mănăstirea et à Băeşti-Aldeni, à Tinosul, dans le district de Prahova, à Sărata-Monteoru, dans le district de Buzău, où il y a une intéressante cachette préhistorique entre des collines d’argile entremêlées, à Gumelniţa, près d’Olteniţa (Voy. Vladimir Dumitrescu, dans Dacia, I, p. 325 et suiv.; II, p. 29 et suiv.), à Boian, sur un lac (Voy. Christescu, dans Dacia, II, p. 249 et suiv.), à Fundul-Chiselet, à Glina, en Olténie, surtout à Vădastra (district de Romanaţi) (Joan Nestor, Der Stand der Vorgeschichtforschung in Rumänien, Francfort, 1933.), puis en Moldavie, à Drăguşeni, Ruginoasa et Boureni (district de Baia), à Poiana, près de Tecuciu (Piroboridava; gué du Séreth) (Radu et Catherine Vulpe, dans Dacia, III-IV, p. 253 et suiv. Cf. aussi dans la Viaţa Românească, XXII (1930)), à Corbii-de-Sus (district de Tecuciu) (Voy. C. Solomon, dans le Bul. Com. Mon. Ist., XX (1927), p. 117 et suiv.), à Horodişte (district de Dorohoiu) (Voy. Hortense Dumitrescu, dans În memoria lui V. Pârvan, pp. 112-120.), à Baia (Voy. Dacia, III-IV, pp. 46-55.); en Transylvanie, seulement à Lechinţa, sur la rivière de Murăş (Voy. G. Ştefan, dans la Dacia, II, pp. 138 et suiv., 385 et suiv. Voy. ibid., p. 304 et suiv.). L’activité continue encore sans interruption (Le résumé general et les rapports avec la pensée de Pârvan jusqu’en 1926, chez Andrieşescu, Vasile Pârvan, dans le Bul. Com. Mon. Ist., XXII (1929), p. 147. Un catalogue comprenant les travaux plus récents, dans C.C. Giurescu Istoria Românilor, I, pp. 21-23 (où les indications sont seulement esquissées, l’auteur ne montrant pas l’origine d’une information confuse et défectueuse. Des travaux sont confondus avec des identifications), Voir sur ce point aussi D. Tudor, dans le «Bulletin de la Commission des Monuments Historiques» (en roumain), 1933, p. 76 et suiv.).
Aux recherches de la nouvelle génération en Roumanie se sont ajoutées celles du plus ancien archéologue hongrois, M. François László (Voy. Dacia, I, p. 1 et suiv. (sur les fouilles d’Ariuşd, avec la bibliographie des travaux de l’auteur). Cf. Ét. Kovács dans l’Anuarul Institutului de studii clasice, I, p. 89 et suiv. (à Decia, près du Murăş) et aussi Roska, ibid., p. 73 et suiv. (à Valea-lui-Mihai).), et sur les trouvailles de Şipeniţ, dans l’ancienne Bucovine autrichienne, une étude de l’Anglais Childe (Schipenitz. Cf. François László, dans la revue Convorbiri literare, 1924, p. 876.), un des meilleurs connaisseurs du Danube préhistorique, auquel il a consacré un grand ouvrage.
Les résultats, encore soumis à une discussion qui est parfois passionnée, doivent être considérés dans un autre état d’esprit que celui des découvreurs enthousiastes. L’historien habitué à la vie même des nations a certainement le droit de conserver son point de vue et de penser à tout ce que peuvent donner les invasions passagères, les colonisations éphémères, les achats et échanges et surtout un incalculable hasard.
M. Andrieşescu lui-même s’est posé de nouveau la question, devant l’art admirable des vases à ornementations «spiralo-méandriques» peints, mais surtout ceux de la dernière façon, si «des populations passagères ne l’auraient pas apporté dans des circonstances de vie assez réduites»( Andrieşescu, Asupra epocei de bronz în România, p. 5.
), ce qui coïnciderait, du reste, avec l’apparition subite et catastrophale disparition de la race qui, dans les cavernes du Sud-Ouest de la France et de l’Espagne du Nord, a créé l’extraordinaire art magdalénien. Mais la persistance jusqu’aujourd’hui, ainsi qu’il sera montré plus loin, des mêmes types artistiques dans plusieurs pays ayant cependant une base thrace, dans tout le Sud-Ouest de l’Europe, avec des prolongations, par dessus l’Asie Mineure et la Mandchourie, jusqu’au Mexique, montre qu’il ne peut pas être question d’apparitions éphémères.
Histoire des roumains et de la romanité orientale, I, Bucharest, 1937
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