Olivier Zajec
« Qu’est-ce que donc le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais. Si quelqu’un pose la question et que je veuille l’expliquer, je ne sais plus. (1) » Le célèbre paradoxe évoqué par saint Augustin dans Les Confessions s’applique assez bien à ce que l’on dénomme les « études stratégiques ». Malgré de riches échanges et d’éclairantes contributions d’universitaires ou de praticiens militaires contemporains, on constate en effet qu’aucune définition véritablement consensuelle de ce champ ne se dégage pour le moment dans le débat français.
Cette situation tient sans doute en partie à ce qu’aucune discipline universitaire ne peut revendiquer pleinement la propriété de ce carrefour analytique. Les études stratégiques ou ES (le terme sera ici préféré à celui de « war studies ») peuvent être traitées en tant que champ de l’histoire, du droit, de la science politique, des sciences de gestion, de la géographie, de l’économie, etc. Est-il néanmoins possible, sans fâcher les représentants de ces disciplines scientifiques, et dans le cadre restreint d’une chronique, de proposer une structuration opératoire des ES qui permette de les arracher au statut épistémologique de res nullius tout en leur conservant le caractère interdisciplinaire de res communis ?
Comme le disait un stratège ancien, il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre… On posera donc ici, de manière très simple, que les études stratégiques ont pour objet de recherche principal la guerre en tant que « fait social total ». Englobante et bien connue, cette expression est-elle forcément suffisante ? Sans doute pas, si l’on constate la tentation qu’ont parfois certains d’annexer le mot social pour ramener l’étude du phénomène guerre à une sociologie dépolitisée de la violence armée. Si la nature de la guerre est effectivement sociale (en raison des processus interactionnels qui en constituent la dynamique), on pourrait avancer que sa fonction, elle, renvoie à la politique qu’elle prolonge par d’autres moyens (la guerre est liée à la défense d’intérêts singuliers induisant la poursuite stratégique d’objectifs spécifiques, que les protagonistes soient ou non des États). C’est cette double notion d’interaction et d’objectif que l’on retrouve tant dans la célèbre définition de la stratégie de Beaufre que dans le « triangle stratégique » des fins, des voies et des moyens.