Nicolas MOINET
Nicolas Moinet occupe une place particulière dans le domaine des questions stratégiques. Spécialiste de l’intelligence économique (I.E), il a participé au Rapport Martre (1), l’un des actes fondateurs de l’I.E en France. Dans cet article il nous propose – avec des « exemples douloureux » – de construire au-delà des effets de communication, une nouvelle grille de lecture stratégique nécessairement systémique et non linéaire (à découvrir ci-dessous). Il ne sert à rien en effet de déplorer la perte d’entreprises, lorsque les autres pays construisent leur sécurité nationale y compris par la prédation. La guerre économique est une continuation de la politique ou de la guerre par d’autres moyens.
Face au vide stratégique que connaît la France depuis de nombreuses années, les nouvelles conflictualités (guerres hybrides, actions subversives, dépendance technologique…) appellent un sursaut pour assurer une souveraineté raisonnée dans un cadre européen ouvert.
(1) « Intelligence économique et stratégie des entreprises », Commissariat Général du Plan, 1994. L’auteur est Professeur des Universités à l’IAE de Poitiers, enseignant à l’École de Guerre Économique (EGE) et à l’ILERI Paris. Il est chercheur au Centre de Recherche en Gestion (CEREGE), chercheur associé à l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (IRSEM) ainsi qu’au CR 451 de l’EGE. On pourra lire entre autres sur le site : https://geopoweb.fr/?LE-DEFI-DE-L-INTELLIGENCE-ECONOMIQUE-par-N-Moinet
GUERRE ÉCONOMIQUE : NOUS DEVONS CHANGER DE GRILLE DE LECTURE !
Notre navire français, mais aussi européen, est victime de nombreuses voies d’eau. Touché mais pas encore coulé par de nombreuses torpilles tirées dans les eaux troubles de la guerre économique. Mais jusqu’à quand serons-nous en mesure d’écoper ? Car les ennemis ne manquent pas. Mais le pire d’entre eux est souvent celui qui se reflète dans son miroir… Car lorsque les affaires se suivent et se ressemblent, il faut se rendre à l’évidence : nous n’avons pas la grille de lecture stratégique adéquate. Ce qui entraîne un mélange de naïveté et de myopie teintée souvent de fausse prudence et parfois de vraies compromissions.
Au début des années 2000, la prise de contrôle du leader mondial de la carte à puce, le français Gemplus, par un fonds d’investissement américain guidé par la sécurité nationale de son pays
, avait marqué les esprits et le rapport du Député Bernard Carayon au Premier ministre mettra en exergue les défaillances de l’Etat « stratège » dans cette affaire. Une contre-offensive s’organisera, sous la houlette du Haut Responsable à l’Intelligence Économique Alain Juillet, grâce à Sagem, Dassault puis finalement Thalès qui récupèrera, quinze ans plus tard, ce qui était devenu entre temps Gemalto. Mais à quel prix et pour quelles pertes ? Plus récemment, le rachat d’Alstom Power par General Electric démontra, une fois encore, l’agressivité du rouleau compresseur de l’Empire. En usant de l’extra-territorialité du droit américain et en emprisonnant des cadres d’Alstom pour corruption afin de faire pression sur la négociation, les Etats-Unis récupérèrent l’un des maillons de notre chaîne nucléaire. Pauvre De Gaulle ! Cette extension du domaine de la prédation marqua les esprits et la France finira par racheter huit ans plus tard le joyau qu’elle avait dû vendre dans une guerre fantôme subie. Mais à quel prix et pour quelles pertes ? Depuis, d’autres pépites changèrent de pavillon et si les Etats-Unis sont notre premier prédateur, ils ne sont pas les seuls. Chinois, allemands ou britanniques ne sont pas en reste. Mais peut-on les blâmer ? Dans les domaines stratégiques de l’énergie, de l’aéronautique, du spatial ou de l’armement, les coups pleuvent de toute part. Doit-on pour autant montrer du doigt ces acteurs qui agissent au nom de l’intérêt stratégique de leur pays ? Ne faudrait-il pas plutôt analyser les raisons des défaites de celui qui subit ?